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valeur. Aussi se gardent-ils bien de réciter sur un rythme monotone cette magnitique poésie.

Les Allemands — de même les Anglais — ont pris et conservé cette mauvaise habitude, d’un effet déplorable au théâtre. On dirait vraiment qu’ils ne comprennent pas, car ils ne mettent souvent ni sens ni idéal dans leur jeu. Des passages entiers d’alexandrins admirables sont jetés à la tête du public, tout d’une haleine, pour l’éblouir sans doute, comme un feu d’artifice qui part tout à coup, de telle sorte que les belles et les grandes lignes, les richesses et les modulations harmonieuses d’une langue échappent aux auditeurs ou sont complètement défigurées.

— Ah ! M. le docteur, quel partisan enthousiaste vous êtes de la littérature française ! Mais, c’est vous qui devez aller à Berne, ce soir.

— Non, répliqua Jean Almeneur — car la médaille a son revers. Si, à ce point de vue spécial, sans parler d’autres encore, j’admire l’art français, je ne puis que condamner les théories de quelques célèbres écrivains. Mais revenons au Maître de Forges.

C’est un mélange assez bien arrangé de sentiments extrêmes, de choses invraisemblables et parfois révoltantes. Prenez un seul fait, le nœud de la pièce, « la pointe d’aiguille » sur laquelle repose tout le drame : Claire de Beaulieu devient la femme d’un riche industriel pour la simple raison qu’il la demande en mariage au moment même où son premier fiancé, un duc, rompt leur projet d’union, aussitôt qu’il apprend que Claire vient d’être complètement ruinée par un procès. Voyons un peu. Est-ce qu’un galant homme, parmi les spectateurs, peut encore s’intéresser à une femme qui se marie par