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la patricienne

coup d’œil dans le journal, Dougaldine le passa à sa tante, en exprimant le regret de ne pas être à Berne, le soir, pour assister à la représentation.

— Malgré les prix élevés, dit le docteur, le théâtre sera comble. Il n’y aura aucune place vide.

— On croirait bientôt que vous le regrettez, remarqua la jeune fille, qui n’était pas d’humeur à éviter la bataille.

— Moi ? Et pourquoi donc, je vous prie ? J’ai en grande estime les dramaturges français…

— Ah ! pour le coup, nous y voilà ! s’écria Dougaldine.

— Eh ! mademoiselle, que peuvent bien renfermer mes paroles pour vous surprendre ainsi ? Nous autres hommes, nous sommes assez objectifs pour reconnaître et admirer le beau et le vrai partout où ils se présentent. À mon humble avis, l’artiste français, ou, si vous aimez mieux, l’acteur, — est bien supérieur à l’acteur allemand, non seulement dans les pièces de simple conversation, mais aussi et particulièrement dans les hautes tragédies. En premier lieu, ce qui le distingue, c’est le ton naturel, tranquille ou vif, tel enfin qu’il existe dans la bonne société. Chez nous, on n’a rien de semblable. Si l’un de nos acteurs doit dire : Veuillez vous asseoir, ou : Ayez la bonté de me donner un verre d’eau, il prononce ces mots en roulant de gros yeux ; s’il avait des plumes, il ferait la roue comme ce dindon que j’aperçois dans la cour. En outre, dans la tragédie, les Français ont encore cette belle qualité de ne pas se laisser entraîner par le réalisme. Ils sont amoureux des beaux vers ; ils savent et ils sentent qu’un drame est avant tout une œuvre littéraire de grande