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la patricienne

langue de Voltaire et de Musset. Tout en elle était gracieux, correct, parfait. Une toilette claire moulait les fermes contours de sa taille ; ses cheveux blonds formaient une sorte de diadème au-dessus de sa nuque, d’une blancheur de marbre de Carrare. Rien n’égalait la fraîcheur des joues, l’éclat doux mais pénétrant des yeux ; ni l’ivoire éblouissant des dents qu’un léger sourire laissait entrevoir, dans le rouge vermeil des lèvres. Le docteur en fut vivement impressionné. Oui, dans la bouche de cette vierge chaste et fière les mots de pureté et de limpidité étaient bien à leur place.

Et, pourtant, le précepteur n’était rien moins que convaincu. Au contraire, plus il admirait la séduisante jeune fille, dont la physionomie trahissait l’émotion d’une âme élevée, plus aussi il redoutait l’influence que certaines lectures, peut-être mal comprises et mal digérées, pouvaient exercer sur l’esprit et les sens de celle qu’il aimait. Tous, nous sommes forcés de le reconnaître : il y a des pages, dans quelques-uns de nos écrivains, qui font parfois de profonds ravages dans un cœur de vingt ans. Est-ce la mélodie harmonieuse de la langue, les images passionnées que ces auteurs déroulent devant nos regards, qu’il faut rendre responsables de ce danger ? Nous ne savons, mais cela existe et le docteur ne l’ignorait pas. Aussi, emporté par la surexcitation du moment, où il y avait autant d’indignation que d’amour, il s’écria d’un ton amer, le ton d’un confesseur qui blâme les écarts d’une jolie pénitente qu’il veut sauver en dépit d’elle-même :

— Oui, c’est vrai. Vous aimez ces écrivains, et