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interroger l’avenir de sa vie de femme. Et, involontairement, elle s’étonna de ce que cette heure s’était écoulée si vite, tandis que, la veille au soir, à l’arrivée du docteur, elle ne lui avait souhaité la bienvenue qu’entièrement persuadée que chaque jour amènerait la lutte, ou à tout le moins une nouvelle cause d’aversion plus profonde.

Oui, elle ignorait comment cette joie lui était venue tout d’un coup. Peut-être ces abeilles, qui sortaient déjà de leurs ruches, le savaient-elles en voletant vers la prairie émaillée de fleurs ; ou bien les feuilles gonflées de sève des grands hêtres qui, au sommet de la colline, balançaient lentement la cime orgueilleuse de leurs fûts puissants ; ou encore ce petit roitelet, dont les notes ailées, dans le bosquet voisin, chantaient le bonheur des cœurs et du printemps. Mais, s’ils le savaient, ils n’en disaient rien à la jeune fille. Et celle-ci, toute troublée, constatait derechef et non sans effroi, que sa volonté devenait impuissante.

Un vieux proverbe, peut-être emprunté à la sagesse des nations, sinon à la connaissance que les hommes ont de l’existence, dit simplement : les jours se suivent, mais ils ne se ressemblent pas. Jean et Dougaldine en firent l’expérience. Ils ne vécurent pas beaucoup de matins comme celui qu’ils passèrent ensemble sous le vieux tilleul de Beau-Port. Une force irrésistible les poussait cependant l’un vers l’autre ; mais, il n’était pas rare qu’après une heure d’intime causerie ne surgît de nouveau ce levain d’orgueil qui gâtait leurs meilleures impressions. La plus futile circonstance leur servait de prétexte. Semblablement, des peuples ennemis se font des