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disait, en ce moment, qu’il n’oublierait jamais cette heure bénie. Il en avait la profonde sensation. Aussi répondit-il, comme enivré, au regard que Dougaldine lui avait adressé.

Généralement, en ces instants trop rares de notre existence, ce ne sont pas les mots que balbutient nos lèvres, mais bien ce qu’éprouve notre âme, qui constitue pour l’homme la suprême félicité terrestre. Un célèbre psychologue français enseigne quelque part qu’il n’y a, entre l’homme et la femme, rien de plus vrai que les sentiments que n’exprime pas la parole. Le docteur aurait pu, à son tour, signer lui-même cette pensée.

Et tout en savourant un café parfumé, Jean s’entretenait avec Dougaldine de choses pour ainsi dire insignifiantes, du départ de M. Fininger, de l’avantage de se lever tôt à la campagne, du printemps et de la joie que causait à Amédée cette existence libre au milieu d’une belle et riche nature. Dans cet échange d’impressions et d’idées, si les mots ne leur rappelaient que les simples faits de la vie, il leur semblait pourtant que bien haut, dans une région lumineuse, leurs esprits se cherchaient, pour se séparer de nouveau, comme effrayés l’un de l’autre, une fois qu’ils s’étaient rencontrés.

Le retour de Mlle Marthe et d’Amédée rompit le charme de leur tête-à-tête matinal. À peine le frère de Dougaldine eut-il salué son maître qu’il parla de ses livres.

— Quoi ? Des livres maintenant ! fit le docteur. Par ce beau jour de printemps, on ne doit se servir que d’un seul livre, celui qui est ouvert sous le ciel bleu.