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APPENDICE.

VIII

DÉNUDATION DE LA VALLÉE DE LA DURANCE.

Dans l’été de 1869, je remontai à pied la vallée de la Durance, de Mont-Dauphin à Briançon ; chemin faisant, je remarquai à environ cinq kilomètres de cette dernière localité quelques pics rocheux très-aigus sur les pentes de la montagne, à l’ouest de la route. Je grimpai sur ces pentes et je découvris les singulières colonnes naturelles représentées dans la gravure ci-jointe[1]. Ces sortes de piliers sont composés d’un conglomérat non stratifié formé de cailloux et de blocs reliés par une gangue terreuse. Quelques-unes étaient mélangées de pierres plus serrées que les grains de raisins dans un plum-pudding ; d’autres étaient hérissées de pierres aiguës comme les piquants d’un oursin. Cette gangue était si dure et si adhérente, qu’on avait une peine extrême à en arracher les pierres. Une fois la pierre détachée, la gangue terreuse disparaissait très-facilement par un simple lavage dans un petit ruisseau voisin. C’est ainsi que j’en eus bientôt extrait quelques fragments de syénite, de micaschiste, plusieurs variétés de calcaires et de débris, ainsi que diverses plantes fossiles qui caractérisent les roches carbonifères. La plupart des fragments étaient couverts de traces indiquant qu’ils avaient voyagé sous un glacier. La gangue terreuse avait tous les caractères de la vase des glaciers, et le flanc de la colline était couvert d’amas roulés. Ces diverses indications et la situation des pics rocheux me donnèrent à penser qu’ils provenaient des débris d’une ancienne moraine. Les plus élevés de ces piliers atteignaient 18 et 21 mètres ; la moraine avait donc dû avoir une hauteur au moins égale. Je jugeai d’après ces apparences que c’était la moraine supérieure d’un glacier, affluent du grand glacier qui avait occupé autrefois la vallée de la Durance. En se retirant, il s’était arrêté sur le versant de cette colline, près de Sachas. Le glacier latéral avait coulé au bas d’un vallon sans nom qui descend de l’est-sud-est de la montagne désignée sur la carte française sous le nom de l’Eychouda (2664 mètres).

Un seul de ces pics était coiffé d’une pierre d’assez petite dimension, et je n’aperçus dans leur voisinage aucun bloc assez considérable pour leur supposer la même origine qu’aux célèbres colonnes ou aiguilles de dolomie voisines de Botzen. Ceux qui ont lu les Études de sir Charles Lyell (10e édition, tome I, p. 338) se rappelleront qu’il attribue principalement la formation des colonnes de Botzen à ce qu’elles étaient recouvertes de blocs qui les protégeaient contre l’action directe de la pluie.

  1. Elles se trouvaient à 228 mètres (d’après l’anéroïde) au-dessus de la route et à peu de distance du village de Sachas. Il y en avait à peu près une douzaine semblables à celles que représente la gravure, et un grand nombre de tronçons de colonnes plus petites. Il s’en trouvait probablement d’autres et beaucoup plus considérables, plus loin par derrière. Je n’avais pas le temps de dépasser l’endroit représenté dans ce dessin. J’ai cru intéressant de revenir sur la description très-imparfaite que j’avais donnée de ces curieuses roches. Je ne pense pas qu’elles aient été observées ni décrites précédemment.