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APPENDICE

V

NOTICE SUR LA GÉOLOGIE DU CERVIN, PAR M. F. GIORDANO,
INGÉNIEUR EN CHEF DES MINES D’ITALIE, ETC. ETC.

Le Matterhorn ou mont Cervin est formé, depuis la base jusqu’au sommet, de roches stratifiées en bancs assez réguliers, qui sont tous légèrement relevés vers l’est, savoir vers le Mont-Rose. Ces roches, quoique évidemment d’origine sédimentaire, ont une structure fortement cristalline qui doit être l’effet d’une puissante action de métamorphisme très-développée dans cette région des Alpes. Dans la série des roches constituantes du Cervin on peut faire une distinction assez marquée, savoir celles formant la base inférieure de la montagne, et celles formant le pic proprement dit.

Les roches de la base, que l’on voit dans le Val Tournanche, dans le vallon de Z’Mutt, au col Saint-Théodule et ailleurs, sont, en général, des schistes talqueux, serpentineux, chloriteux et amphiboliques, alternant fort souvent avec des schistes calcaires à noyaux quartzeux. Ces schistes calcaires, de couleur brunâtre, alternent ça et là avec des dolomies, des cargueules et des quartzites tégulaires. Cette formation calcaréo-serpentineuse est très-étendue dans les environs. Le pic, au contraire, est tout formé d’un gneiss talqueux, souvent à gros éléments, alternant parfois à quelques bancs de schistes talqueux et quartzeux, mais sans bancs calcaires. Vers le pied ouest du pic, le gneiss est remplacé par de l’euphotide granitoïde massive, qui semble y former une grosse lentille se fondant de tous côtés dans le gneiss même. Du reste, les roches du Cervin montrent partout des exemples, fort instructifs de passages graduels d’une structure à l’autre, résultant du métamorphisme plus ou moins avancé.

Le pic actuel n’est que le reste d’une puissante formation géologique ancienne, triasique peut-être, dont les couches puissantes de plus de 3500 mètres enveloppaient tout autour, comme un immense manteau, le grand massif granitoïde et feldspathique du Mont-Rose. Aussi, son étude détaillée, qui, par exception, est rendue fort facile par la profondeur des vallons d’où il surgit, donne la clef de la structure géologique de beaucoup d’autres montagnes des environs. On y voit partout le phénomène assez curieux d’une puissante formation talqueuse très-cristalline, presque granitoïde, régulièrement superposée à une formation schisteuse et calcarifère. Cette même constitution géologique est en partie la cause de la forme aiguë et de l’isolement du pic qui font la merveille des voyageurs. En effet, tandis que les roches feuilletées de la base, étant facilement corrodées par l’action des météores et de l’eau, ont été facilement creusées en vallées larges et profondes, la roche supérieure, qui constitue la pyramide, donne lieu par sa dureté à des fendillements formant des parois escarpées qui conservent au pic ce profil alpin élancé et caractéristique. Les glaciers qui entourent son pied de tous les côtés, en emportant d’une manière continue les débris tombant de ses flancs, contribuent pour leur part à maintenir l’isolement de la merveilleuse pyramide, qui, sans eux, serait peut-être déjà ensevelie sous ses propres ruines.