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ESCALADES DANS LES ALPES.

de plus à ceux que reconnaît l’orthodoxie pure. Nous espérions découvrir entre Cormayeur et Chamonix une route moins longue que celle du col du Géant, qui était alors la plus facile, la plus courte et la plus directe pour traverser la principale chaîne du Mont-Blanc[1]. Inquiet sur le succès de notre entreprise, je donnai le signal du départ à l’heure indue de minuit 40 minutes. Les chalets de Pré-de-Bar étaient déjà dépassés à 4 heures 30 minutes ; de là, nous suivîmes pendant quelque temps la route que nous avions prise pour faire l’ascension du Mont-Dolent (V. p. 260). À huit heures un quart, nous arrivions à l’extrémité supérieure du glacier, et au bas de la seule pente un peu raide de toute notre montée.

C’était le beau idéal d’un col. Une brèche flanquée de chaque côté d’un pic immense (le Mont-Dolent et l’Aiguille de Triolet) s’ouvrait dans la montagne. Une étroite bande de neige conduisait jusqu’au point le plus bas de cette dépression, l’azur du ciel que l’on voyait au delà semblait nous dire : « dès que vous serez arrivés ici, vous pourrez commencer à descendre sur le versant opposé. » Nous nous mîmes vaillamment à l’œuvre, et, à 10 heures 15 minutes du matin, nous avions atteint le sommet du col.

Si tout se fût passé comme nous étions en droit de l’espérer, nous serions arrivés à Chamonix six heures après. Il existait sur le versant opposé, nous nous en étions assurés, un couloir correspondant à celui que nous venions de remonter. Rempli de neige, ce couloir ne nous eût offert aucune difficulté, malheureusement, il était rempli de glace. Croz tenait la tête, il passa de l’autre côté, et revint nous dire qu’il saurait bien nous faire descendre ; mais, au bruit que faisait sa hache en taillant des pas, je compris que j’avais devant moi au moins une heure de loisir ; je m’installai donc pour prendre quelques croquis. La gravure ci-jointe représente la vue que j’avais sous les yeux : une Aiguille très-pointue et sans nom, la plus pointue peut-être de toute la chaîne, qui se dressait sur la gauche, devant

  1. La plus belle vue sur le Mont-Blanc, dont on puisse jouir du côté de l’Italie, est, suivant moi, celle que l’on découvre d’une gorge située au sud du Val Ferret italien, à mi-chemin entre les villages de la Vachey et de Praz-Sec.