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ESCALADES DANS LES ALPES.

de m’arrêter ; cet effort m’avait épuisé ; seul le petit bossu m’avait intrépidement suivi, la tente sur l’épaule et souriant de ce sourire étrange qui lui était habituel. Croz, bien au-dessous, surveillait son Monsieur du coin de l’œil ; 30 mètres plus bas, Almer, tranquillement assis sur un rocher, tenait sa tête entre ses mains ; Biener n’était pas même en vue. « Descendez, descendez donc, criait Croz de toutes ses forces, cela ne sert à rien ! » Je finis par redescendre, bien convaincu qu’il disait vrai. Ainsi fut renversé dès le début mon pauvre petit plan si bien combiné ! Force nous fut donc de revenir au projet primitif.

Nous regagnâmes de suite en droite ligne le Breuiljoch de M. Morshead[1] ; c’était la route la plus directe pour nous rendre au Hörnli, où nous voulions passer la nuit, avant d’attaquer le versant oriental du Cervin. Nous arrivâmes au sommet de ce col à midi 30 minutes. Une déception fort imprévue nous y attendait. Plus de passage ! Une muraille de rochers, peu élevée, mais absolument à pic, nous séparait du glacier de Furggen ; le glacier s’était tellement retiré, que la descente n’était pas possible. D’épais nuages arrivaient depuis une heure du côté du sud ; ils nous entouraient de toutes parts et le vent commençait à souffler avec violence. Les guides groupés ensemble se demandèrent s’il ne serait pas plus sage de renoncer à toute nouvelle tentative. Almer me dit même avec une certaine rudesse :

« Pourquoi ne cherchez-vous pas à faire des ascensions possibles ?

— Celle-ci est certainement impossible ! répéta Biener comme un écho fidèle.

— Monsieur, dit à son tour Croz, si nous faisons le tour de la montagne, nous perdrons trois jours, et il est fort probable que nous ne réussirons pas davantage. Vous avez le désir de faire plusieurs ascensions dans la chaîne du Mont-Blanc, et je crois qu’elles sont possibles. Mais je ne pourrai les faire avec

  1. Voir la note de la page 148.