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ESCALADES DANS LES ALPES.

Combien j’en ai vu ainsi délivrés de leurs liens quand le soleil avait atteint son point le plus élevé ! D’abord ils tombaient très-doucement, puis leur vitesse augmentait avec leur volume ; l’avalanche se formait peu à peu et descendait comme une trombe, laissant en arrière une traînée blanchâtre semblable au nuage de poussière qui suit un train express. En outre, l’eau, qui filtre pendant le jour dans les crevasses et dans les moindres fissures, s’y congèle pendant la nuit, aussi est-ce surtout pendant la nuit ou durant les plus grands froids qu’ont lieu les avalanches de pierres les plus considérables[1].

Qui a vu et entendu des avalanches de pierres comprend facilement pourquoi les glaciers ont des moraines. Ce dont on doit s’étonner, c’est que les moraines ne soient pas beaucoup plus considérables. Ces masses de débris, qui peut l’ignorer, ne sont pas produites par le travail d’excavation des glaciers. Les moraines des glaciers proviennent des versants des montagnes. Le soleil les crée, et la glace les transporte.

Les Alpes pourraient à plus juste titre être appelées « éternelles », si elles jouissaient d’une température invariable, et si elles cessaient d’être soumises à des alternatives d’un froid glacial et d’une chaleur brûlante. Peut-être continueraient-elles à tomber en détail, mais leur chute serait beaucoup moins rapide.

Les rochers recouverts par un glacier jouissent d’une température invariable. Les différences extrêmes qui séparent l’été de l’hiver leur sont inconnues ; le thermomètre, placé sous cette couche de glace, ne baisserait ou ne monterait que d’un petit nombre de degrés[2]. Ils ne se désagrégent pas ou se désagrégent

  1. Pendant chacune des sept nuits que je passai sur l’arête du sud-ouest du Cervin en 1861-63 (entre 3600 et 4000 mètres d’altitude), les pierres ne cessèrent de tomber sous forme d’averse ou d’avalanches. (Voir p. 185.)
  2. Les différences de température sont certainement plus fortes sur les côtés des glaciers. Il n’est pas moins évident que le froid de l’hiver ne pénètre pas au centre même des glaciers ; en effet, les ruisseaux continuent à couler sous la glace pendant toute l’année, en hiver comme en été, dans les Alpes et dans le Groënland, la température du fond des glaciers est même au milieu de l’été, à environ 00, comme l’expérience le prouve.