Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.
292
ESCALADES DANS LES ALPES.

Christian Almer et Johann Tännler pour gagner Tourtemagne dans le Valais. Là, je congédiai Tännler, parce que Michel Croz et Franz Biener m’attendaient.

On ne saurait trouver deux guides-chefs dont les facultés se combinassent plus harmonieusement que celles de Croz et d’Almer. Biener leur était tout à fait subordonné ; si nous le leur adjoignîmes, ce fut par convenance plus que par nécessité. Croz ne parlait que le français ; Almer ne parlait guère qu’allemand. Biener comprenait les deux langues, ce qui le rendait parfois très-utile ; rarement il prit la tête, excepté le matin, quand il n’y avait aucun obstacle sérieux à surmonter ; il nous servit de porteur bien plus que de guide.

Je ne saurais trop insister sur l’extrême importance qu’il y a, dans les courses de montagnes, à ménager ses forces en cas d’événement imprévu. Tant que nous restâmes ensemble, nous en eûmes toujours une ample provision ; nous ne fûmes jamais ni pressés ni exténués. Quoi qu’il pût advenir, nous étions prêts. Une série de hasards fâcheux, que je regretterai toute ma vie, m’obligea bientôt à me séparer de Croz, et, par conséquent, à renvoyer mes autres guides. Forcé d’abandonner un plan qui avait été arrêté après de mûres délibérations et qui réussit toujours dans la pratique, parce qu’il avait pour base des principes solides, je fis fortuitement partie d’une expédition qui se termina par la catastrophe dont ce livre est le sujet et qui mit un terme fatal à la série de mes grimpades dans les Alpes[1].

Le 15 juin, nous allâmes de Tourtemagne à Z’meiden, et, de là, à Zinal, par le col de la Forcletta. Nous nous écartâmes un peu du col pour escalader les hauteurs voisines afin d’examiner le Grand Cornier. D’après cette étude, aucune tentative n’était possible par le versant septentrional. Bien que cette montagne fût à plus de dix kilomètres de nous, on pouvait, sans craindre de se tromper, la déclarer inaccessible du côté où nous étions.

Le 16, à deux heures cinq minutes du matin, nous quittâmes Zinal où nous avions été un instant très-intrigués par

  1. En 1864, avant de m’en séparer, j’engageai Croz pour l’année 1865 ;