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ESCALADES DANS LES ALPES.

ne parût pas avoir été débouchée pendant toute la nuit, les quatre cinquièmes du contenu s’étaient évaporés. C’était fort étrange ; ni mes amis ni moi nous n’avions bu une goutte de vin, et les guides déclarèrent l’un après l’autre qu’ils n’avaient vu personne en goûter. Évidemment, la seule explication de ce phénomène devait être la sécheresse de l’air. Cependant il importe de remarquer que la sécheresse de l’air (ou, l’évaporation du vin) est toujours plus considérable quand un étranger fait partie d’une expédition, et la sécheresse causée par la présence d’un seul porteur de Chamonix est même tellement grande que ce ne sont plus les quatre cinquièmes qui s’évaporent, mais bien le tout à la fois. J’éprouvai pendant un certain temps une grande difficulté à combattre ce phénomène singulier, mais je finis par découvrir que, lorsque je me servais de l’outre de vin en guise d’oreiller, aucune évaporation n’avait lieu.

À 4 heures du matin, nous entreprîmes la traversée du glacier, nous dirigeant sur une seule file vers la base d’un grand couloir conduisant des pentes supérieures du glacier de la Bonne-Pierre au point le plus bas de la chaîne qui relie les Écrins à la montagne nommée Roche Faurio. Rodier salua de cris de joie la vue de ce couloir, car il fut alors renvoyé à la Bérarde avec toutes ses couvertures. Ce goulet ou couloir avait été découvert par M. Tuckett qui le descendit ; aussi devons-nous revenir pendant quelques instants sur les explorations antérieures de ce montagnard accompli.

En 1862, M. Tuckett eut la bonne fortune d’obtenir du Dépôt de la Guerre à Paris une copie manuscrite de la feuille 189 de la carte de France, qui n’avait pas encore été publiée. Cette feuille à la main, il parcourut en tous sens les Alpes Dauphinoises, sans être embarrassé par aucun de ces doutes sur l’identité des pics, qui nous avaient causé, à Macdonald et à moi, tant de perplexités en 1867. Grâce à ce guide précieux, il put constater, à n’en pouvoir douter, que nous avions confondu les Écrins avec une autre montagne, — le Pic sans Nom. Notre connaissance imparfaite de la contrée et les rapports inexacts des gens du pays nous avaient fait commettre une