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ESCALADES DANS LES ALPES.

comme il se composait de nombreux fragments, je pus, sans trop de difficultés, passer d’un bloc à l’autre en décrivant des zig-zags. À l’extrémité inférieure, je rencontrai une longue dalle à peu près polie et formant un angle de 40 degrés entre deux murailles à pic. Au-dessous on ne voyait absolument que le glacier. C’était, à coup sûr, un mauvais pas ; mais, doutant fort que je pusse remonter tous les blocs que j’avais descendus en me laissant glisser, je tentai l’aventure. Couché en travers de cette dalle trop unie, j’appuyai fortement mon dos contre une des parois et mes pieds contre la paroi opposée, et je finis par descendre, en mettant en mouvement d’abord mes jambes, puis mes épaules. Parvenu au bas de la pente, j’aperçus une obligeante crevasse, dans laquelle je pus enfoncer la pointe de mon bâton, et je me laissai couler sur un bloc inférieur. La descente de ce couloir m’avait pris beaucoup de temps, et, pendant quelques secondes, j’eus la satisfaction de voir la glace presque à portée de la main. Un instant après, une seconde difficulté se présentait : le glacier contournait un angle du rocher, et la glace, n’ayant pas les propriétés de la mélasse ni du mastic mou, ne s’appliquait pas tout à fait à la petite anse sur le bord de laquelle j’étais descendu. Il n’y avait pas entre nous un grand espace, mais sa surface était plus élevée que celle du rocher d’où je la contemplais. En outre, le rocher se trouvait couvert de morceaux de terre et de pierres détachées des roches supérieures. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre dans les deux directions, la glace restait éloignée du rocher, dont la séparait ainsi une crevasse marginale large de deux mètres au moins et d’une profondeur inconnue.

Un coup d’œil m’avait suffi pour tout voir. Jugeant qu’il m’était impossible de franchir la crevasse d’un bond, je descendis le long du rocher, à la recherche d’un passage plus facile ; mais la glace devenait de plus en plus haute, et je finis par ne plus pouvoir avancer, car les roches étaient tout à fait polies. À l’aide d’une hache, j’aurais pu tailler des pas dans la glace ; n’en ayant point, il ne me restait d’autre alternative que de revenir sur mes pas et de tenter le saut périlleux.