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CHAPITRE I.

brasse d’un seul coup d’œil, de la base au sommet, les trois pics du Mischabel (la plus haute montagne de la Suisse), 3350 mètres d’épaisses forêts, de verts pâturages, d’aiguilles de rochers et de glaciers étincelants. Les pics me parurent absolument inaccessibles dans cette direction.

Je descendis ensuite par la vallée de Saas au village de Stalden, et, de là, je remontai le Vispthal jusqu’à Zermatt, où je m’arrêtai pendant plusieurs jours. Les formidables secousses de tremblement de terre, ressenties dans cette vallée cinq années auparavant, y avaient laissé de nombreuses traces, particulièrement à Saint-Nicolas, ou les habitants avaient été terrifiés outre mesure par la destruction de leurs églises et de leurs maisons. Là, comme à Visp, une grande partie de la population s’était vue obligée de vivre sous la tente pendant plusieurs mois. Fait remarquable, bien qu’on ait compté près de cinquante secousses, dont plusieurs furent très-violentes, il y eut ai peine une victime humaine.

À Zermatt, j’errai dans plusieurs directions, mais le temps était mauvais, et l’exécution de mes projets se trouva très-retardée. Un jour, après avoir essayé pendant longtemps de prendre des croquis près du Hörnli et fait de vains efforts pour saisir la forme des pics quand ils m’apparaissaient quelques secondes par-dessus les bords épais de gros nuages cotonneux, je résolus de ne pas retourner à Zermatt par le sentier habituel, mais de traverser le glacier de Gœrner pour gagner l’hôtel du Biffel. J’avais escaladé rapidement les roches polies et les champs de neige qui bordent la base du glacier de Saint-Théodule et passé à gué quelques-uns des ruisseaux qui en découlent et qui étaient alors très-gonflés par les dernières pluies ; une première difficulté m’arrêta tout à coup. J’étais arrivé au bord d’un précipice profond d’environ 90 mètres.

Le glacier me semblait facile à traverser sur ce point si je pouvais l’atteindre, mais, à une grande distance au-dessus et au-dessous, mon œil inexpérimenté n’y découvrait aucun passage possible pour un touriste isolé. Le rocher qu’il s’agissait de descendre était presque partout perpendiculaire ; toutefois,