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« Vous devez être Ethan Frome !… » Il la voyait encore, sautant du wagon, ses paquets à la main : dès ce moment, rien qu’à observer sa fragile personne, il s’était dit : « Elle ne semble guère taillée pour abattre de la besogne, mais en tout cas elle paraît facile à vivre… » Et cependant ce n’était pas seulement un souffle de vie printanier qui était entré avec elle dans la maison : elle était plus que le petit être serviable et gai qu’il l’avait cru d’abord. Elle savait voir, elle savait écouter, et Frome s’aperçut bientôt qu’on pouvait lui montrer les choses et les lui raconter : tout ce qu’il lui communiquait de ses pensées laissait en elle une trace profonde et des échos qu’il pouvait réveiller à sa guise.

C’était la nuit, au cours de ces retours à la ferme, qu’il éprouvait le plus vivement la douceur de cette communion. Il avait toujours été plus sensible que les gens de son entourage aux beautés de la nature ; ses études, malgré leur interruption prématurée, avaient donné une forme à cette sensibilité, et, même aux heures les plus malheureuses de son existence, les champs et le ciel lui avaient toujours parlé d’une voix souveraine et profonde.

Mais jusqu’alors cette émotion était demeurée en lui comme un secret douloureux qui voilait de mélancolie la beauté même qui l’avait fait naître. Peut-