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petits carreaux avaient vue sur le mince clocher blanc de l’église, et deux sapins de Norvège assombrissaient l’entrée du jardin, que traversait un étroit sentier dallé d’ardoises.

Les deux veuves, bien que réduites à vivre assez modestement, mettaient leur point d’honneur à maintenir la maison familiale en état, et Mrs Hale en particulier avait un certain affinement timide qui s’accordait assez bien avec son intérieur désuet et fané. Tous les soirs, dans le salon meublé d’acajou, avec ses sièges recouverts de crin noir, sous la faible lueur d’une lampe carcel aux monotones glouglous, on m’initiait à une nouvelle version, plus délicatement nuancée, de la chronique de Starkfield. Non pas que Mrs. Hale se crût, ou affectât, quelque supériorité sociale sur les gens qui l’entouraient. Seul le hasard d’une sensibilité plus fine et d’une éducation moins incomplète avait mis assez de distance entre elle et ses voisins pour qu’elle pût les juger avec détachement. Ce jugement, elle l’exerçait d’ailleurs assez volontiers, et j’avais grand espoir d’éclaircir, grâce à elle, les points obscurs de la vie d’Ethan Frome, ou tout au moins d’obtenir la clef de son caractère. La mémoire de Mrs. Hale était un répertoire d’anecdotes inoffensives, et toute question ayant trait à ses relations suscitait aussitôt un flot de détails ;