Page:Wharton - Sous la neige, 1923.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix si basse que jamais aucune de ses paroles n’était parvenue jusqu’à moi. Puis il remontait péniblement dans son buggy délabré, rassemblait les guides dans sa main gauche, et repartait sans hâte vers la ferme.

— Ce dut être un effroyable accident dis-je un jour au vieil Harmon, en regardant Frome s’éloigner.

Je songeais à la fière allure qu’avait dû avoir la tête hâlée, aux cheveux blonds, aux méplats accusés, surmontant les épaules vigoureuses, du jeune homme.

— Effroyable, en effet ! répondit Gow ; de quoi tuer la plupart des hommes. Mais voilà, les Frome ont le crâne dur, et il y a bien des chances pour que celui-ci atteigne ses cent ans…

— Grand Dieu ! m’écriai-je. À ce moment Ethan Frome venait de monter sur son siège ; il se retournait pour voir si une boîte de médicaments était bien calée à l’arrière du buggy, et j’aperçus sa figure telle qu’elle devait être quand il se croyait seul.

— Cet homme-là, atteindre ses cent ans ! mais il a l’air d’être déjà mort et enterré !

Harmon tira de sa poche un paquet de tabac, coupa une chique et en bourra sa vieille joue tannée.

— Que voulez-vous ? Il a passé trop d’hivers à Starkfield… Les malins, eux s’en vont…

— Alors, pourquoi lui est-il resté ?

— Ah ! voilà !… il fallait bien qu’il y eût quel-