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le pauvre homme ne pouvait effectuer sans douleur les quelques pas entre son buggy et le bureau de poste. Tous les jours, vers midi, il venait de sa ferme, située à quelques milles de Starkfield, et, comme c’était justement l’heure où j’allais chercher mes lettres, il m’arrivait souvent de le dépasser sous le péristyle, ou d’attendre à sa suite devant le guichet.

Je ne tardai pas à observer que, malgré son exactitude, on lui remettait rarement autre chose qu’un numéro du Bettsbridge Eagle. Sans même y jeter un coup d’œil il le fourrait dans la poche de son veston usé. De temps à autre, pourtant, le receveur lui tendait une enveloppe adressée à Mrs. Zenobia (ou Zeena) Frome, portant en gros caractères l’adresse d’un fabricant de produits pharmaceutiques et le nom d’une spécialité. Ces papiers allaient aussitôt rejoindre le journal ; on eût dit que mon voisin en avait trop reçu pour s’en occuper davantage. Puis il remerciait l’employé d’un petit signe de tête et se retirait.

Chacun dans Starkfield le connaissait et le saluait respectueusement au passage ; mais on tenait compte de son désir d’isolement, et seuls quelques hommes de son âge lui adressaient parfois la parole… Frome, alors, s’arrêtait un instant, ses yeux bleus fixés gravement sur l’interlocuteur ; mais il répondait d’une