ne pas le revoir semblait la seule chose vraiment intolérable, et je tremblais à l’idée qu’un regard, une parole de moi détruisît l’harmonie de notre amitié. Ah ! les heures absurdes où je caressais la chimère qu’il « devait » m’aimer, puisque tout le monde le croyait ! Les longues périodes d’accablement où je me figurais ne pas tenir à ce qu’il m’aimât ou non. À ces jours de misère en succédaient d’autres, où notre accord intellectuel était si parfait que j’oubliais tout le reste, dans la joie de me sentir soulevée sur les ailes de sa pensée. Parfois, alors, les cieux paraissaient s’ouvrir…
« Et à travers tout cela, il était un si bon ami ! Il avait le génie de l’amitié. Il me prodiguait les marques d’attachement. Oui, vous aviez raison de dire que j’ai eu plus qu’aucune autre femme. Il faut de l’adresse pour aimer[1], dit Pascal, et j’avais tant de sérénité, de gaieté, j’étais si franchement affectueuse avec lui, que je suis presque certaine de ne l’avoir jamais ennuyé, durant toutes ces années. Eussé-je pu en espérer autant, s’il m’avait aimée ?
« Il ne faut pas d’ailleurs que vous vous le figuriez perpétuellement attaché à mes jupes. Il allait et venait comme il voulait, et ses caprices
- ↑ En français dans le texte.