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l’île du docteur moreau

dents serrées, je m’avançai droit sur lui. Je ne voulais à aucun prix laisser voir la crainte qui me glaçait. Je me frayai un passage à travers un enchevêtrement de grands buissons à fleurs blanches et aperçus le monstre à vingt pas plus loin, observant par-dessus son épaule, hésitant. Je fis deux ou trois pas en le regardant fixement dans les yeux.

— Qui êtes-vous ? criai-je.

Il essaya de soutenir mon regard.

— Non ! fit-il tout à coup et, tournant les talons, il s’enfuit en bondissant à travers le sous-bois. Puis, se retournant encore, il se mit à m’épier : ses yeux brillaient dans l’obscurité des branchages épais.

Je suffoquais, sentant bien que ma seule chance de salut était de faire face au danger, et résolument je me dirigeai vers lui. Faisant demi-tour, il disparut dans l’ombre. Je crus une fois de plus apercevoir le reflet de ses yeux et ce fut tout.

Alors seulement je me rendis compte que l’heure tardive pouvait avoir pour moi des conséquences fâcheuses. Le soleil, depuis quelques minutes, était tombé derrière l’horizon ; le bref crépuscule des tropiques fuyait déjà de l’orient ; une phalène, précédant les ténèbres, voltigeait silencieusement autour de ma tête. À moins de passer la nuit au