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l’île du docteur moreau

juste au moment de déboucher dans une clairière. C’était une sorte de trouée faite dans la forêt par la chute d’un grand arbre ; les rejetons jaillissaient déjà de partout pour reconquérir l’espace vacant, et, au delà, se refermaient de nouveau les troncs denses, les lianes entrelacées et les touffes de plantes parasites et de fleurs. Devant moi, accroupis sur les débris fongueux de l’arbre et ignorant encore ma présence, se trouvaient trois créatures grotesquement humaines. Je pus voir que deux étaient des mâles et l’autre évidemment une femelle. À part quelques haillons d’étoffe écarlate autour des hanches, ils étaient nus et leur peau était d’un rose foncé et terne que je n’avais encore jamais remarqué chez aucun sauvage. Leurs figures grasses étaient lourdes et sans menton, avec le front fuyant et, sur la tête, une chevelure rare et hérissée. Je n’avais jamais vu de créatures à l’aspect aussi bestial.

Elles causaient ou du moins l’un des mâles parlait aux deux autres et tous trois semblaient être trop vivement intéressés pour avoir remarqué le bruit de mon approche. Ils balançaient de gauche à droite leur tête et leurs épaules. Les mots me parvenaient embarrassés et indistincts ; je pouvais les entendre nettement sans pouvoir en saisir le sens.