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l’île du docteur moreau

rance. Le petit être rosâtre me montrait une bizarre affection et se mit aussi à me suivre. Pourtant, l’Homme-Singe m’était infiniment désagréable. Il prétendait, à cause de ses cinq doigts, qu’il était mon égal et ne cessait, dès qu’il me voyait, de jacasser perpétuellement les plus sottes niaiseries. Une seule chose en lui me distrayait un peu : son fantastique talent pour fabriquer de nouveaux mots. Il avait l’idée, je crois, qu’en baragouiner qui ne signifiaient rien était l’usage naturel à faire de la parole. Il appelait cela « grand penser » pour le distinguer du « petit penser » — lequel concernait les choses utiles de l’existence journalière. Si par hasard je faisais quelque remarque qu’il ne comprenait pas, il se répandait en louanges, me demandait de la répéter, l’apprenait par cœur, et s’en allait la dire, en écorchant une syllabe ici ou là, à tous ses compagnons. Il ne faisait aucun cas de ce qui était simple et compréhensible et j’inventai pour son usage personnel quelques curieux « grands pensers ». Je suis persuadé maintenant qu’il était la créature la plus stupide que j’aie jamais vue de ma vie. Il avait développé chez lui, de la façon la plus surprenante, la sottise distinctive de l’homme sans rien perdre de la niaiserie naturelle du singe.