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l’île du docteur moreau

Il m’était aisé maintenant d’être seul. Ces bêtes manifestaient une curiosité tout humaine à l’endroit du cadavre et le suivaient en groupe compact, reniflant et grognant, tandis que les Hommes-Taureaux le traînaient au long du rivage. Du promontoire, j’apercevais, noirs contre le ciel crépusculaire, les trois porteurs qui avaient maintenant soulevé le corps sur leurs épaules pour le porter dans la mer. Alors comme une vague soudaine, il me vint à l’esprit, inexprimablement, l’infructueuse inutilité et l’évidente aberration de toutes ces choses de l’île. Sur le rivage, parmi les rocs au-dessous de moi, l’Homme-Singe, l’Hyène-Porc et plusieurs autres bipèdes se tenaient aux côtés de Montgomery et de Moreau. Tous étaient encore violemment surexcités et se répandaient en protestations de fidélité à la Loi. Cependant, j’avais l’absolue certitude, en mon esprit, que l’Hyène-Porc était impliquée dans le meurtre du lapin. J’eus l’étrange persuasion que, à part la grossièreté de leurs contours, le grotesque de leurs formes, j’avais ici, sous les yeux, en miniature tout le commerce de la vie humaine, tous les rapports de l’instinct, de la raison, du destin, sous leur forme la plus simple. L’Homme-Léopard avait eu le dessous, c’était là toute la différence.