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l’île du docteur moreau

ironie, à l’inutilité de ce secours qui arrivait trop tard — et de si peu — pour me trouver encore vivant.

Pendant un espace de temps qui me parut interminable, je restai sur ce banc, la tête contre le bordage, à regarder s’approcher la goëlette secouée et balancée. C’était un petit bâtiment, gréé de voiles latines, qui courait de larges bordées, car il allait en plein contre le vent. Il ne me vint pas un instant l’idée d’essayer d’attirer son attention, et, depuis le moment où j’aperçus distinctement son flanc et celui où je me retrouvai dans une cabine d’arrière, je n’ai que des souvenirs confus. Je garde encore une vague impression d’avoir été soulevé jusqu’au passavant, d’avoir vu une grosse figure rubiconde, pleine de taches de rousseur et entourée d’une chevelure et d’une barbe rouges, qui me regardait du haut de la passerelle ; d’avoir vu aussi une autre face très brune avec des yeux extraordinaires tout près des miens ; mais jusqu’à ce que je les eusse revus, je crus à un cauchemar. Il me semble qu’on dut verser, peu après, quelque liquide entre mes dents serrées, et ce fut tout.

Je restai sans connaissance pendant fort longtemps. La cabine dans laquelle je me réveillai enfin