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l’île du docteur moreau

comptant neuf ans en Angleterre — j’ai travaillé, et il y a encore quelque chose dans tout ce que je fais qui déjoue mes plans, qui me mécontente, qui me provoque à de nouveaux efforts. Quelquefois je dépasse mon niveau, d’autres fois je tombe au-dessous, mais toujours je reste loin des choses que je rêve. La forme humaine, je puis l’obtenir maintenant, presque avec facilité, qu’elle soit souple et gracieuse, ou lourde et puissante, mais souvent j’ai de l’embarras avec les mains et les griffes — appendices douloureux que je n’ose façonner trop librement. Mais c’est la greffe et la transformation subtiles qu’il faut faire subir au cerveau qui sont mes principales difficultés. L’intelligence reste souvent singulièrement primitive, avec d’inexplicables lacunes, des vides inattendus. Et le moins satisfaisant de tout est quelque chose que je ne puis atteindre, quelque part — je ne puis déterminer où — dans le siège des émotions. Des appétits, des instincts, des désirs qui nuisent à l’humanité, un étrange réservoir caché qui éclate soudain et inonde l’individualité tout entière de la créature : de colère, de haine ou de crainte. Ces êtres que j’ai façonnés vous ont paru étranges et dangereux aussitôt que vous avez commencé à les observer, mais