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La tentation d’harringay

— deux indubitables chefs-d’œuvre, en échange d’une âme d’artiste. C’est une excellente affaire.

Harringay répondait à coups de brosse.

Pendant quelques minutes, on n’entendit d’autre bruit que le va-et-vient de la brosse et le bredouillement et les crachements de l’Italien. Il reçut une bonne partie des coups de pinceau sur le bras et sur la main, bien qu’Harringay réussît assez souvent à tromper sa garde. Bientôt le rouge de la palette fut épuisé et les deux antagonistes demeurèrent face à face, hors d’haleine. Le portrait était tellement barbouillé de rouge qu’on eût pu croire qu’il avait traîné dans un abattoir ; il haletait péniblement et semblait fort mal en point avec la couleur liquide qui ruisselait au long de son cou. Cependant la première passe semblait être toute à son avantage.

— Réfléchissez, — dit-il encore, s’obstinant à son idée, — deux suprêmes chefs-d’œuvre, de style différent, chacun d’eux égalant en beauté la cathédrale…

— Attends un peu ! — cria Harringay.

Se précipitant hors de l’atelier, il courut au boudoir de sa femme et reparut presque aussitôt avec un immense pot de peinture laquée, un merveilleux ripolin, et un grand pinceau. À cette vue, l’artistique démon à l’œil rouge se mit à hurler.

Trois chefs-d’œuvre ! Trois renversants chefs-d’œuvre.