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notre siècle ont produit d’admirable. Devant le deuil, nous nous sommes interdit d’en faire la réflexion ; devant l’apothéose, nous la pouvons faire. Depuis huit jours, en des termes qui vont s’amplifiant et s’enflant, pour ainsi dire d’heure en heure, on nous retrace un Victor Hugo qui ne serait rien de moins que le poète par précellence et le penseur par prééminence de l’Europe au xixe siècle et de la France en tous les temps. Les deux métaphores de cime et d’abîme sont les plus modestes par lesquelles on essaye de mesurer son génie. On ne lui aperçoit pas de limites. Nous ne saurions suivre cette pente du panégyrique. De quelque grandes qualités qu’ait été doué Victor Hugo, de quelque magnificences qu’il ait enrichi notre langue, il n’est pas, comme on le dit, la cime et l’abîme, la cime de toute poésie et l’abîme de toute pensée. Victor Hugo n’est pas le maître des maîtres de la littérature française ; il ne tient pas dans notre littérature, et personne n’y tient le rang dominateur et la place unique qu’occupent Shakespeare dans la littérature anglaise et Gœthe dans la littérature allemande. Victor Hugo n’est pas davantage le grand conducteur des imaginations, des âmes et des esprits au xixe siècle ; ce rôle, s’il appartient à quelqu’un, appartiendrait à Gœthe ; seul, Jean-Jacques Rousseau le pourrait disputer à Gœthe