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après son père et qui, sur quelques points, le dépasse. Qui ne croirait M. Dumas un homme heureux ?

Mais les dieux jaloux, qui ne veulent pas qu’un seul mortel puisse jamais se vanter de son bonheur, ont logé dans le cerveau de M. Dumas fils un mille-pattes inconcevable et inexorable. La petite bête, dans les premiers temps, ne remuait pas trop ; à cette heure, elle fait rage. Plus M. Dumas avance dans la gloire et la fortune, plus la petite bête se démène de ses mille pattes ; plus elle lui taquine les circonvolutions ; plus elle lui enfonce dans la matière grise l’idée prodigieuse qu’il a été méconnu, incompris et persécuté de son siècle. Quand cela le prend, il lance une préface amphigourique afin de bien expliquer son œuvre, injustement méprisée, et puis, une seconde préface pour expliquer la première qui a été mal saisie. Ce qui est son tourment, c’est qu’on refuse de reconnaître dans ses drames la grande portée morale, sociale et utilitaire ; dans son génie, le caractère et l’aptitude sociologiques. On le prend pour un amuseur et un bateleur. Il se sent dédaigné du savant, du prêtre et du politique, lui qui a découvert et qui possède l’art précieux de mener « par l’immoral à l’utile ». Et la foule qui hurle avec les loups hurle après lui sur le même mode que le prêtre, le politique et le savant. Tels sont les spectres qui hantent l’esprit de M. Dumas.