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que le maître. Entre le sensualisme de Molière et celui de Gassendi, la différence de degré fut celle que devait établir la différence de vie, de tour d’esprit et de tempérament entre un comédien, qui l’avait été longtemps de troupe ambulante, et un savant enfoncé dans les études de cabinet, qui d’ailleurs était prêtre et qui, ne fût-ce que par prudence et sagesse, prit soin de ne jamais manquer ou paraître manquer aux convenances et aux maximes de son état. Molière ne fut pas seulement un théoricien gassendiste, il fut un esprit fort et un libertin. Ce qu’il était, son métier lui défendait de l’être d’une façon silencieuse ; sa nature le poussait à l’être d’une façon agressive ; son adresse à plaire au roi lui faisait toujours trouver l’occasion de l’être sans péril.

Le premier historien sérieux, le premier juge détaché, sans idolâtrie et sans haine, que Molière ait rencontré, Bazin, a su relever d’une façon définitive la position prise par Molière d’assez bonne heure et constamment gardée par lui à l’égard des dévots et de la dévotion. L’écrit modestement intitulé par Bazin Notes sur la vie de Molière, qui est l’un des chapitres d’histoire littéraire les plus éloquents et les plus étonnants publiés à notre époque, cet écrit a changé forcément le point de vue des apologistes de l’auteur du Tartuffe. Il a détruit la légende de Molière victime innocente et martyr pacifique des