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pour l’Europe, amoureux, escorté des Muses, guidé par la Sagesse, couronné par la Victoire, n’ayant encore donné en nul excès, tout à l’État et au bien de l’État et qui, pour son coup d’essai, venait de conquérir la Flandre en deux mois et la Franche-Comté en trois semaines. Tout alors en France était jeune comme le roi ; et justement les pleurs que fait verser Bérénice, les fêtes qui y sont célébrées, les hauts faits de guerre qui y retentissent sont des pleurs, des fêtes et des exploits guerriers de la jeunesse.

Aussi en 1670 le succès fut grand d’une pièce où les générations nouvelles reconnaissaient leur image, tandis que les anciens, les gens du temps de Richelieu et de Mazarin, s’en tenaient à Corneille. La tragédie de Racine, reprise en 1724, avec mademoiselle Lecouvreur dans Bérénice, obtint des suffrages aussi chaleureux qu’à l’origine. Elle a beaucoup occupé le xviiie siècle jusque vers son déclin. Jean-Jacques en a bien parlé. Voltaire, un jour, à la lecture de Bérénice, vit se mouiller les yeux du grand Frédéric. Et maintenant ?

À l’Odéon, le public aux beaux endroits était captivé et recueilli plutôt qu’ému ; il ne s’abandonnait pas ; je ne sais quelle surprise ou quel défaut d’initiation le retenait ; je n’ai pas senti dans la salle l’absolu saisissement. Je ne pouvais m’empêcher de me rap-