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de croyance particulière, cette piété délicieuse, cette religion sans dispute, cette admirable innocence de cœur font d’Esther, des hymnes d’Esther et de ceux d’Athalie la théodicée la plus belle et la plus persuasive qui soit au monde. Il fait bon, à ce qu’il paraît, de se vouer aux couvents des petites filles et, ayant vécu avec les Duparc et les Champmeslé, de se refaire auprès des innocentes. On pourrait s’imaginer que, de Bérénice et de Phèdre à Esther, Racine a changé d’âme, s’il n’avait prêté autrefois aux victimes résignées et aux victimes révoltées de l’amour la même pureté de langage et la même élévation de sentiment, avec lesquelles il devait chanter plus tard le Très-Haut. La vérité exacte est qu’à vingt-cinq ans comme à cinquante il travaillait sur le même fonds, celui qu’il devait à son honnête famille de la Ferté-Milon, à ses maîtres, les solitaires de Port-Royal, au noble et religieux Sophocle. Mais du Dieu de Sophocle à son Dieu, quelle distance ! De la religion ergoteuse et géométrique de Port-Royal à la religion d’Esther et des chœurs d’Athalie, quelle transformation ! C’est toujours sur ce point qu’il faut revenir et insister. Racine célèbre le Dieu bon et le Dieu juste, le Dieu qui aime, une Providence, source de nos joies. La théodicée racinienne n’a pas de secte ; elle n’est délimitée et appesantie par aucun doctrinarisme. Racine brûle un encens