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culière de la représentation rouennaise au fait que la capitale de la Normandie contenait beaucoup de Juifs, avoués ou secrets, et qu’ils emplissaient le théâtre. De nos jours, Rachel, quand elle aborda, pour la première fois, le rôle d’Esther (c’était en 1839) prit soin de jouer la pièce le 28 février, jour où les juifs pratiquants célèbrent, par la fête du Pourim, l’anniversaire de leur délivrance d’Assuérus par Esther. Ce soir-là, les Juifs de Paris, qui affluaient au Théâtre-Français, firent solennellement de la tragédie de Racine l’apothéose d’Israël et le signe de son émancipation définitive. M. Paul Mesnard, à qui j’emprunte ce détail caractéristique, — on ne peut plus maintenant parler de Racine que Paul Mesnard à la main[1], — M. Paul Mesnard se demande ce qu’eût pensé l’élève de Saci et le disciple de la Mère Angélique en voyant sa pièce « prendre ainsi un caractère religieux très différent de celui qui avait été dans ses intentions ». Pas si différent, ce me semble. La soirée du 28 février 1839 était une démonstration de plus, aussi concluante qu’inattendue, que ce que Racine avait écrit avec le style d’un poète et l’âme d’un juste c’était bien la synthèse dramatique du Dieu vivant et de la révélation.

Indépendamment de toute considération de foi et

  1. Collection Régnier, J. Racine, t. III, Paris. Hachette, 1865.