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pourquoi Racine avec la meilleure volonté du monde ne put dérober Esther sous le pieux boisseau de Saint-Cyr. Il fut impossible de réserver aux dames et aux demoiselles du célèbre établissement la pièce qu’elles avaient commandée, qu’elles jouaient et qui n’avait été faite que pour elles. Tout se précipita aux représentations de Saint-Cyr ; tout voulut en être, la cour et la ville. Fait bien remarquable : l’inspiration racinienne était montée d’un vol si heureux vers le plus haut, le plus général, le plus doux, le plus inaltérable, le plus divin de la religion, que toutes les théologies se réconcilièrent pour un moment en Esther. De violentes querelles divisaient l’Église et ses illustres conducteurs d’âmes ; d’affreuses persécutions étaient consommées ; d’autres se préparaient ; il n’y eut pas de dissidents à Esther. Bossuet ne pensait pas de la pièce autrement que Fénelon ; Bourdaloue la voulut voir et l’inflexible Arnauld, pour la première fois, pardonna au théâtre et à ses pompes. D’Esther, Arnauld fut ravi ; même, après qu’eut paru Athalie, il préférait Esther, sans bien s’expliquer pourquoi. C’est, je suppose, que dans Esther la religion parle toute seule et toute pure, tandis que dans Athalie il se mêle à la religion un drame politique puissant qui distrait un peu la piété. J’ai la faiblesse de préférer Esther, comme le grand Arnauld, mais pour une autre raison