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de ces citernes naturelles, où se désaltère le bétail, leur seule richesse possible. Dès le matin, les troupeaux de Grangelourde viennent boire à la Mare-aux-Chardonnerets; puis on les pousse au large, et l'eau, un moment troublée, vaseuse, redevient calme et d'une limpidité de cristal. Alors arrivent, des potagers de la ferme et des profondeurs de la lande, en chantonnant, en oletant, en décrivant toutes sortes de courbes gracieuses, des bandes d'oiseaux. Chardonnerets, linottes, verdiers, boivent, se bec- quettent, se baignent, s'en vont, reviennent, repartent et re- paraissent encore. C'est jusqu'au soir, autour de la mare, des pépiements, des chants d'amour, des bruits d'ailes Nous arrivions juste au moment propice'pour faire une bonne chasse il allait être midi, heure où les oiseaux, épuisés de fa- tigue et accablés de chaleur, aiment à folâtrer auto ir de l'eau. Pour les empêcher de boire, nous nous mîmes à former aux bords de la mare un rempart de grosses pierres abandonnées par d'autres oiseleurs, laissant çà et là de petites portes, où nous affermîmes nos gluaux. Cela fait, nous courûmes nous cacher à trente pas dans un taillis de jeunes châtaigniers, et nous attendîmes, le regard fixe et l'oreille en éveil. Je me souviens de l'incroyable contentementque j'éprouvais, couché à côté de mon ami dans cette lande sauvage. Certaine- ment, jamais au Parc (1), les jours même où j'avais triomphé dans quelque lutte, je n'avais rien senti de pareil. Malgré le soleil qui dardait d'aplomb et me faisait bouillir la cervelle dans la tête, j'avais des tressaillements de joie que je n'étais pas maître de réprimer. L'air de la liberté me grisait. «  Qu'as-tu donc ? me demanda Sauvageol à voix basse. - Rien; je suis heureux! Reste tranquille; tes mouvements empêchent les oiseaux d'approcher. Oh voici une alouette. Chut! Il disait vrai une belle alouette huppée, de celles qu'on ap- pelle dans le pays coquillades, était arrivée d'un vol aux bords de la mare. Je me roidis comme un pieu, et ne beugeai plus. Cependant rien ne nous assurait que, pour boire, cette pin- pante petite bête irait passer par nos portes étroites. L'alouette a une finesse extrême pour deviner les pièges, et des ruses mer- veilleusespour les éviter. Certainement, .c'estde tous les oiseaux le plus difficile à engluer. Tandis que le chardonneret se jette étourdiment sur les gluaux, que le verdier se prend bêtement Le Parc est l'ancien jardin des évêques de Lodève, transformé par la Révolution en promenade publique. C'est là que Julien faisait l'école buissonnière et se battait avec les mauvais sujets.