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sa compagne avait fini par prendre l'habitude de le regarder quand il criait en voix de fausset « Mignonne! » Au coucher du soleil, Mignonne fit entendre à plusieurs reprises un cri profond et mélancolique. Quelque puissant que fût le désir du soldat de, rester de- bout et sur ses gardes, il dormît. A son réveil, il ne vit plus Mignonne; il monta sur la colline, et, dans le lointain, il l'aper- çut accourant par bonds, suivant l'habitude de ces animaux, auxquels la course est interdite par l'extrême flexibilité de leur colonne vertébrale. Mignonne arriva les babines sanglantes; elle reçut les caresses nécessaires que lui fit son compagnon, en témoignant même par plusieurs rmurou gravés combien elle en. était heureuse. Ses yeux pleins de mollesse se tournèrent avec encore plus de douceur que la veille sur le Provençal, qui lui parlait comme à un animal domestique. Quelques jours se passèrent ainsi. Cette compagnie per- mit au Provençal d'admirer les sublimes beautés du désert. La solitude lui révéla tous ses secrets, l'enveloppa de ses charmes. Il découvrit dans le lever et le coucher du soleil des spectacles inconnus au monde. Il sut tressaillir en entendant au-dessus de sa tête le doux sifflement des ailes d'un oiseau, rare passager! en voyant les nuages se confondre, voya- geurs changeants et colorés! Il étudia pendant la nuit les effets de la lune sur l'océan des sables, où le simoun (1) produisait des vagues, des ondulations et de rapides changements. Il vécut avec le jour de l'Orient, il en admira les pompes merveilleuses; et souvent, après avoir joui du terrible spectacle d'un ouragan dans cette plaine où les sables soulevés produisaient des brouil- lards rouges et secs, des nuées mortelles, il voyait venir la nuit avec délices, car alors tombait la bienfaisante fraîcheur des étoiles. Il écouta des musiques imaginaires dans les deux. Puis la solitude lui apprit à déployer les trésors de la rêverie. Il pas- sait des heures à se rappeler des riens, à comparer sa vie passée à sa vie présente. Enfin, il se passionna pour sa panthère, car il lui fallait bien une affection. Soit que sa volonté, puissamment projetée, eût modifié le caractère de sa compagne, soit qu'elle trouvât une nourriture abondante grâce aux combats qui se li- vraient alors dans ces déserts, elle respecta la vie du Français, qui finit par ne plus s'en défier, en la yoyant si bien appri- voisée. Il employait la plus grande partie du temps à dormir; mais il était obligé de veiller, comme une araignée au sein de sa toile, i. Simoun vent bi-ûlsot qui souffle en tempête et souléve des tourbillons de sable dans les déserts do l'Afrique.