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comble, car il ne pouvait plus révoquer en doute l'existence du terrible compagnon, dont l'antre royal lui servait de bivouac. Bientôt les reflets de la lune, qui se précipitait vers l'horizon, éclairant la tanière, firent insensiblement resplendir la peau tachetée d'une panthère. Ce lion d'Egypte dormait, roulé comme un gros chien, paisible possesseur d'une niche somptueuse à la porte d'un hôtel; ses yeux, ouverts pendant un moment, s'étaient refermés. Il avait la face tournée vers le Français. Mille pensées confuses passèrent dans l'âme du prisonnier de la panthère d'abord, il voulut la tuer d'un coup de carabine, mais il s'aperçut qu'il n'y avait pas assez d'espace entre elle et lui pour l'ajuster, le canon aurait dépassé l'animal. Et s'il l'éveillait?. Cette hypothèse le rendit immobile. En écoutant battre son cœur au milieu du silence, il maudissait les pulsa- tions trop fortes que l'affluence du sang y produisait, redoutant de troubler ce sommeil qui lui permettait de chercher un expé- dient salutaire. Il mit la main deux fois sur son cimeterre, dans le dessein de trancher la tête à son ennemi; mais la diffi- culté de couper un poil ras et dur l'obligea à renoncer à ce hardi projet. -La manquer? ce serait mourir sûrement, pensa-t-il. Il préféra les chances d'un combat, et résolut d'attendre le jour. Et le jour ne se fit pas longtemps désirer. Le Français put alors examiner la panthère elle avait le museau teint de sang. Elle a bien mangé pensa-t-il, sans s'inquiéter si le fes- tin avait été composté de chair bumaine elle n'aura pas faim à son réveil. C'était une femelle. La fourrure du ventre et des cuisses étin- celait de blancheur. Plusieurs petites taches, semblables à du velours, formaient de jolis bracelets autour des pattes. La queue musculeuse était également blanche, mais terminée par des an- neaux noirs. Le dessus de la robe, jaune comme de l'or mat, mais bien lisse et doux, portait ces mouchetures caractéris- tiques, nuancées en forme'de roses, qui servent à distinguer les panthères des autres espèces de felis. Cette tranquille et redou- table hôtesse ronflait dans une pose aussi gracieuse que celle d'une chatte couchée sur le coussin d'une ottomane (1). Ses sanglantes pattes, nerveuses et bien armées, étaient en avant de sa tête, qui reposait dessus, et de laquelle partaient ces barbes rares et droites, semblables à des fils d'argent. Si elle avait été ainsi dans une cage, le Provençal aurait certes admiré la grâce 1. Ottomane grand siègo, sorte de canapé à l'orientale.