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de fruits mûrs, sous le poids desquels les dattiers semblaient fléchir, et il s'assura, en goûtant cette manne inespérée, que l'habitant de la grotte avait cultivé les palmiers la chair savoureuse et fraîche de la datte accusait en effet les soins de son prédécesseur. Le Provençal passa subitement d'un sombre désespoir à une joie presque folle. Il remonta sur le haut de la colline, et s'occupa pendant le reste du jour à couper un des palmiers inféconds qui, la veille, lui avaient servi de toit. Un vague souvenir lui fit penser aux animaux du désert, et, pré- voyant qu'ils pourraient venir boire à la source perdue dans les sables qui apparaissait au bas des, quartiers de roche, il réso- lut de se garantir de leurs visites en mettant une barrière f1 la porte de son ermitage. Malgré son ardeur, malgré les forces que lui donna la peur d'être dévoré pendant son sommeil, il lui fut impossible de couper le palmier en plusieurs morceaux dans cette journée mais il réussit à l'abattre. Quand, vers le soir, ce roi du désert tomba, le bruit de sa chute retentit au loin, et il y eut une sorte de gémissement poussé par la solitude le soldat en frémit, comme s'il eût entendu quelque voix lui pré- dire un malheur. Il dépouilla ce bel arbre des larges et hautes feuilles vertes qui en sont le poétique ornement, et s'en servit pour réparer la natte sur laquelle il allait se coucher. Fatigué par, la chaleur et le travail, il s'endormit sous les lambris rouges de sa grotte humide. Au milieu de la nuit, son sommeil fut troublé par un bruit extraordinaire. Il se dressa sur son séant, et le silence profond qui régnait lui permit de reconnaître l'accent alternatif d'une respiration dont la sau- vage énergie ne pouvait appartenir à une créature humaine. Une profonde peur, encore augmentée par l'obscurité, par le silence et par les fantaisies du réveil, lui glaça le cœur. Il sen- tit même à peine la douloureuse contraction de sa chevelure, quand, à force de dilater les pupilles de ses yeux, il aperçut dans l'ombre deux lueurs faibles et jaunes. D'abord, il attribua ces lumières à quelque reflet de ses prunelles mais bientôt, le vif éclat de la nuit l'aidant par degrés à distinguer les objets qui se trouvaient dans la grotte, il aperçut un énorme animal couché à deux pas de lui. Était-ce un lion, un tigre, ou un cro- codile ? Le Provençal n'avait pas assez d'instruction pour savoir dans quel sous-genre était classé son ennemi; mais son effroi fut d'autant plus violent, que son ignorance lui fit supposer tous les malheurs ensemble. Il endura le cruel supplice d'écou- ter, de saisir les caprices de cette respiration, sans en rien perdre et sans oser se permettre le moindre mouvement. Une odeur aussi forte que celle exhalée par les renards, mais plus pénétrante, plus grave, pour ainsi dire, remplissait la grotte; et quand le Provençal l'eut dégustée du nez, sa terreur fut au