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maintenant va jouer, sois bien sage et amuse-toi bien. » Et l'enfant d'obéir et de chevaucher à grand bruit dans la maison ou devant la porte, un bâton entre les jambes. Quelquefois, l'innocente monture semblait prendre le mors aux dents «  Mon Dieu, mon Dieu 1 il va tomber 1 » s'écriait alors la bonne Marthe qui suivait l'écuyer des yeux; mais elle le voyait bientôt dompter, diriger, éperonner son manche à balai avec toute la dextérité et l'aplomb d'une vieille sorcière, et rassurée, lui sou- riait de sa fenêtre comme une reine du haut de son balcon. Cet instinct belliqueux ne fit qu'augmenter avec l'âge si bien qu'à dix ans, il fut nommé, d'une voix unanime, général en chef par la moitié des bambins de Montreuil, qui disputaient alors, séparés en deux camps, la possession d'un nid de merle. Inutile de dire qu'il justifia cette distinction par des prodiges d'habileté et de valeur. On prétend qu'il lui arriva même de gagner quatre batailles en un jour, fait inouï dans les annales militaires (Napoléon lui-même n'alla jamais jusqu'à trois). Mais son haut grade et ses victoires ne rendirent pas Lazare plus fier qu'auparavant, et tous les soirs le baiser filial accou- tumé n'en claquait pas moins franc sur les joues de la fruitière. Mais, hélas la guerre a des chances terribles, et, un beau jour, le conquérant éprouva une mésaventure qui faillit le dégoûter à jamais de la manie des conquêtes. Voici le fait comme il se baissait pour observer les mouvements de l'ennemi, la main appuyée sur un tronc d'arbre, et à peu près dans la posture de Napoléon pointant une batterie à Montmirail, le pantalon du général observateur craqua et se déchira par der- rière, où vous savez, laissant pendre et flotter un large bout de la petite chemise que Marthe avait blanchie et repassée la veille. A cette vue, les héros de Montreuil pouffèrent de rire, aussi fort que l'eussent pu faire les dieux d'Homère, grands rieurs comme chacun sait. L'armée se mutina; le général eut beau crier, comme Henri IV dont il avait lu l'histoire « Sol- dats, ralliez-vous à mon panache blanc » on lui répondit qu'un panache ne se mettait pas là-, et qu'on ne pouvait, sans faire injure aux couleurs françaises, les arborer sur une pareille brèche; si bien que le pauvre général brisa sur le dos d'un mutin son bâton de commandement, et rentra dans ses foyers, triste et penaud comme les Anglais abordant à Douvres après la bataille de Fontenoy. Ce nom me rappelle une circonstance que j'aurais tort - d'omettre, car elle influa beaucoup sur le caractère et la desti- née du héros de cette histoire. Un pauvre vieux soldat, qui venait de temps en temps chez Marthe, sa parente éloignée, fumer sa pipe au coin de l'àtre, et se réchauffer le cœur d'un