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ordinairement, mais, au contraire, spirituelle. Oui, elle trou- vait parfois, dans son cœur, des façons de parler touchantes et passionnées, que M. de Voltaire lui-même, le grand homme d'alors, n'eût jamais trouvées sous sa perruque. Il y a encore de ces femmes-là. « Frère, dit-elle, émue et pleurant presque de voir pleurer son petit Lazare, vous savez, ce grand bahut que vous trouviez si commode pour serrer la vaisselle, et que j'ai refusé de vous vendre ? je vous le céderai maintenant, si vous le voulez. J'en donne encore dix livres, comme avant. Frère, j'en veux davantage. Allons, dix livres dix sous, et n'en parlons plus. Oh j'en exige plus encore. C'est un trésor que je veux. » Le père Lazare regarda sa sœur fixement, comme pour voir si elle n'était ris folle. «  Oui, poursuivit-elle, ]e veux mon petit Lazare chez moi, et pour moi toute seule. Dès ce soir, si vous y consentez, le bahut est à vous, et j'emmène le petit à Montreuil. » Le frère de Marthe fit bien quelques difficultés, car au fond il était bon homme et bon père mais l'enfant en litige lui fai- sait faire, suivant son expression, tant de mauvais sang et de mauvaises sauces les instances de Marthe étaient si vives. et, d'un autre côté, le bahut en question était si commode pour serrer la vaisselle enfin, il céda. «  Viens, mon enfant; .viens, disait Marthe en entraînant le petit Lazare vers sa carriole tu seras mieux chez moi, au milieu de mes pommes d'api que tu manges avec tant de plaisir, 'que dans la société des oies de ton père. Pauvre enfant tu aurais péri dans cette fumée. Vois plutôt, ajouta-t-elle avec une naïve épouvante mon bouquet de violettes, si frais tout à l'heure, est déjà fané Oh viens et marchons vite si ton père allait se dédire et té revouloir! » Et elle entraînait sa proie si vite que les passants l'eussent prise à coup sûr, sans sa mine décente et l'allure libre et gaie de son jeune compagnon, pour une bohémienne voleuse d'enfants. Le premier soin que prit la bonne tante, après avoir installé son neveu chez elle, fut dé lui apprendre elle-même à lire ce dont le père Lazare ne se fût jamais avisé car, totalement dépourvu d'instruction, le brave homme n'en connaissait pas le prix, et on l'eût bien étonné, je vous jure, en lui apprenant qu'une des plumes qu'il arrachait avec tant d'insouciance à l'aile des oies pouvait, tombée entre des mains habiles, bouleverse le monde. Le petit Lazare apprit vite, et avec tant d'ardeur, que l'institutrice était souvent obligée de fermer le livre la pre- mièr e, et de dire « Assez, mon ange, assez pour aujourd'hui;