Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

Moi, je suis Gianetto Sanpiero. Je suis poursuivi par les collets jaunes (1). Cache-moi, car je ne puis aller plus loin. Et que dira mon père si je te cache sans sa permission ?. Il dira que tu as bien fait. Qui sait ? Cache-moi vite ils viennent. Attends que mon père soit revenu. Que j'attende malédictibn Ils seront ici dans cinq minutes. Allons, cache-moi, ou je te tue. » Fortunato lui répondit avec le plus grand sang-froid «  Ton fusil est déchargé, il n'y a plus de cartouches dans ta carchera (2). J'ai mon stylet (3). Mais courras-tu aussi vite que moi ? » Il fit un saut, et se mit hors d'atteinte. «  Tu n'es pas le fils de Mateo Falcone 1 Me- laisseras-tu donc arrêter devant ta maison? » L'enfant parut touché. «  Que me donneras-tu si je te cache ? » dit-il en se rap- prochant. Le bandit fouilla dans une poche de cuir qui pendait à sa ceinture, et il en tira une pièce de cinq francs qu'il avait réser- vée, sans doute pour acheter de la poudre. Fortunato sourit à la vue de la pièce d'argent il s'en saisit, et dit à GianettQ «Ne crains rien.» » Aussitôt il fit un grand trou dans un tas de foin placé au- près de la maison. Gianetto s'y -blottit, et l'enfant le recouvrit de manière à lui laisser un peu d'air pour respirer, sans qu'il fût possible cependant de soupçonner que ce foin cachait un homme. Il s'avisa, de plus, d'une finesse de sauvage assez ingé- nieuse. Il alla prendre une chatte et ses petits, et les établit sur le tas de foin, pour faire croire qu'il n'avait pas été remué depuis peu. Ensuite, remarquant des traces de sang sur le sentier près de la maison, il les couvrit de poussière avec soin, et, cela fait, il se recoucha au soleil avec la plus grande tranquillité. Quelques minutes après, six hommes en uniforme brun à collet jaune, et commandés par un adjudant, étaient devant la porte de Mateo. Cet adjudant était quelque peu parent de Falcone (On sait qu'en Corse on suit les degrés de parenté beaucoup plus loin qu'ailleurs). Il se nommait Tiodoro Gamba c'était un homme actif, fort redouté des bandits dont il avait déjà traqué plusieurs. l. L'uniforme dos voltigeurs était alors1 un habit brun avec un colletjaune. (Note de Mérimée.) 2. Carchera: ceinture de cuir qui sert de giberne et de portefeuille, (Note de Mérimée.) 3. Stylet poignard lame étroite;