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choses étonnantes! Il y en a de bien étranges. Il s'absorbe curieusementdans leur vue. Certains jours, il profite de ce que sa mère a le dos tourné, pour sortir de la maison. D'abord, on court après lui, on le rattrape. Puis on s'habitue à le laisser aller seul, pourvu qu'il ne s'éloigne pas trop. La maison est au bout du pays; la cam- pagne commence presque aussitôt après. Tant qu'il est en vue des fenêtres, il marche sans s'arrêter, d'un petit pas posé, en sautillant sur un pied, de temps à autre. Mais dès qu'il a dépassé le coude du chemin, et que les buissons le cachent aux regards, il change brusquement. Il commence par s'arrêter, le doigt dans la bouche, pour savoir quelle histoire il se racontera aujour- d'hui car il en est tout plein. Il est vrai qu'elles se ressemblent toutes, et que chacune pourrait tenir en trois ou quatre lignes. Il choisit. D'habitude, il reprend la même, tantôt au point où il l'a laissée la veille, tantôt depuis le commencement, avec des variantes mais il suffit d'un rien, d'un mot entendu par ha- sard, pour que sa pensée coure sur une piste nouvelle. Le hasard était fertile en ressources. On n'imagine pas tout le parti qu'on pouvait tirer d'un simple morceau de bois, d'une branche cassée, comme on en trouve toujours le long des haies. (Quand on n'en trouve pas, on en casse.) C'était la baguette des fées. Longue et droite, elle devenait une lance, ou peut-être une épée; il suffisait de la brandir pour faire surgir des armées. Christophe en était le général, il marchait devant elles, il leur donnait l'exemple, il montait à l'assaut des talus. Quand la branche était flexible, elle se transformaiten fouet. Christophe montait à cheval, sautait des précipices. Il arrivait que la mon- ture glissât; et le cavalier se retrouvait au fond du fossé, regar- dant d'un air penaud ses mains salies et ses genoux écorchés. Si la baguette était petite, Christophe se faisait chefd'orchestre; il était le chef, et il était l'orchestre; il dirigeait, et il chan- tait et ensuite, il saluait les buissons, dont le vent agitait lés petites têtes vertes. Il était aussi magicien. Il marchait à grands pas dans les champs, en regardant le ciel et en agitant les bras. Il comman- dait aux nuages. Il voulait qu'ils allassent à droite. Mais ils allaient à gauche. Alors il les injuriait, et réitérait son ordre. Il les guettait du coin de l'oeil, avec un battement de coeur, observant s'il n'y en aurait pas au moins un petit qui lui obéi- rait mais ils continuaient de courir tranquillement vers la gauche. Alors il* tapait du pied, il les menaçait de son bâton, et il leur ordonnait avec colère de s'en aller à gauche et, en était heureux et fier de son pouvoir. Il touchait les fleurs en'leur enjoignant de