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narcisse qui se mire dans le ru (1 ), et la lentille d'eau aux feuilles minuscules, et la « langue de bœuf (2) » qui fleurit comme un lustre, avec les « yeux de l'Enfant-Jésus » qi.i est le myosotis. Mais de tout ce monde-là, ce qui m'engageait le plus, c'était la fleur des « gl&is C'est une grande plante qui croît au bord des eaux par grosses touffes, avec de longues feuilles cultri- formes et de belles fleurs jaunes qui se dressent en l'air comme des hallebardes d'or. Toujours est-il qu'un jour d'été, quelque temps après la mois- son, on foulait nos gerbes, et tous les gens du « mas » (3) étaient dans l'aire à travailler. A l'entour des chevaux et des mulets qui piétinaient, ardents, autour de leurs gardiens, il y avait bien vingt hommes qui, les bras retroussés, en cheminant au pas, deux par deux, quatre par quatre, retournaient les épis ou enle- vaient la paille avec des fourches de bois. Ce joli travail se fai- sait gaiement, en dansant au soleil, nu-pieds, sur le grain battu. Au haut de l'aire, porté par les trois jambes d'une chèvre rustique, formée de trois perches, était suspendu le van. Deux ou trois filles ou femmes jetaient, avec des corbeilles, dans le «.cerceau du crible le blé mêlé aux balles; et le « maître », mon père, vigoureux et de haute taille, remuait le crible au vent, en ramenant ensemble les mauvaises- graines au-dessus; et quand le vent faiblissait ou que, par intervalles, il cessait de soazffler, mon père, avec le crible immobile dans ses mains, se retour- nait vers le vent; et sérieux, l'œil dans l'espace, comme s'il s'a- dressait à un dieu ami, il lui disait «  Allons, souffle, souffle, souffle, mignon » Et le mistral (4), ma foi, obéissant au patriarche, halétaïC'de nouveau en emportant la poussière et le beau blé béni tom- bait en blonde averse sur le monceau conique qui, à vue d'œil, montait entre les jambes du vanneur. Par une belle après-midi de cette saison d'aires, je portais encore les jupes j'avais à peine quatre ou cinq ans après m'être bien roulé, comme font les enfants, sur la paille nouvelle, je m'acheminai donc seul vers le fossé du Puits à roue. Depuis quelques jours, les belles fleurs de glais commençaient à s'épanouir,et les mains me démangeaientd'aller cueillir quel- qu'un de ces beaux bouquets d'or. J'arrive au fossé; doucement, je descends au bord de l'eau j'envoie la main pour attraper les fleurs. Mais, comme elles étaient trop éloignées, je me courbe, je m'allonge, et, patatras dedans je tombe dans l'eau jusqu'au cou. 1. Pu petit ruisseau. 2, Langue de bœuf ou buglosse, plante de la famille de la bourrache. s. Mas ferme ou maison de campagne, dans le Midi. 4. Mistral veut violent du nord, dans la vallëe du Rhône.