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violent dans les jambes de l'adversaire. L'aurochs chancela à son tour, et le mammouth se redressa. Les énormes bêtes se retrouvèrent face à face. La fureur tourbillonnaitdans le crâne du mammouth; il leva la trompe avec un barrit (1) métallique et mena l'attaque. Les défenses courbes projetèrent l'aurochs et firent craquer l'ossature puis, obliquant, le mammouth rabattit sa trompe. Avec une rage grandissante, il creva le ventre de l'adversaire, il piétina les longues entrailles et les côtes rompues, il baigna dans le sang, jusqu'au poitrail, ses pattes monstrueuses. L'effroyable agonie se perdit dans un roulementde clameurs la bataille entre les grands mâles avait débuté. Les sept aurochs, les quatre mammouths se ruaient dans une bataille aveugle, comparable à ces paniques où la bête perd tout contrôle sur elle-même. Le vertige gagna les troupéaux le beuglement profond des aurochs se heurtait au barrit strident des mammouths; la haine soulevait ces longs flots de corps, ces torrents de têtes, de cornes, de défenses et de trompes. Les chefs mâles ne vivaient plus que la guerre leurs struc- tures se mêlaient dans un grouillement informe, une immense broyée de chairs, pétrie de douleur et de rage. Au premier choc, l'infériorité du nombre avait donné le désavantage aux mam- mouths. L'un d'eux fut terrassé par trois taureaux, un deuxième immobilisé dans la défensive mais les deux autres remportè- rent une victoire rapide. Précipités en bloc sur leurs antago- nistes, ils les avaient percés, étouffés, disloqués; ils perdaient plus de temps à piétiner leurs victimes qu'ils n'en avaient mis à les battre. Enfin, apercevant le péril des compagnons, ils chargèrent les trois aurochs, acharnés à détruire le colosse abattu, furent pris à l'improviste. Ils culbutèrent d'une seule màsse deux furent émiettés sous les lourdes pattes, le troisième se déroba. Sa fuite entraîna celle des taureaux qui combattaient encore, et les aurochs connurent l'immense contagion de la ter- reur. D'abord un malaise d'orage, un silence, une immobilité étranges qui semblaient se propager à travers la multitude puis le vacillement des yeux vagues, un piétinement pareil à la chute d'une pluie, le départ en torrent, une fuite qui deve- nait une bataille dans la passe trop étroite, chaque bête trans- formée en énergie fuyante, en projectile de panique, les forts terrassant les faibles, les véloces (2) fuyant sur le dos des autres, tandis que les os craquaient ainsi que des arbres abattus par le cyclone. Les mammouths ne songeaient pas à la poursuite; une fois de plus, ils avaient donné la mesure de leur puissance, une l. Barrit cri des éléphants. 2. Véloces ceux qui sont agiles et rapides.