Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

Comme j'attends après lui Je compte les heures quand il est sur le point de rentrer. Il m'emporte dans ses bras après la soupe, et il m'emmène jusqu'à ce qu'on se couche, dans son petit atelier qu'il a en bas, où il travaille à son compte, le soir, en chantant des chan- sons qui m'amusent, et en me jetant tous les copeaux par la figure; c'est moi qui mouche la chandelle, et il me laisse mettre les!doigts dans son vernis. Il vient quelquefois des camarades le voir et causer avec lui, les mains dans les poches, l'épaule contre la porte. Ils me font des amitiés, et mon oncle est tout fier « II sait déjà toutes ses lettres. Jacques, dis ton alphabet. » J. VALLÈS, L'En fant (Fasquelle, édit.). Ma sœur Lucile LUCILE, la quatrième de mes sœurs, avait deux ans de plus que moi. Cadette délaissée, sa parure ne se composait que de la dépouille de ses sœurs. Qu'on se figure une petite fille maigre, trop grande pour son âge, bras dégingandés (1), air timide, parlant avec difficulté et ne pouvant rien apprendre qu'on lui mette une robe empruntée à une autre taille que la sienne; ren- fermez sa poitrine dans un corps piqué (2) dont les pointes lui faisaient des plaies aux côtés; soutenez son cou par un collier de fer garni de velours brun (3) retroussez ses cheveux sur le haut de sa tête, rattachez-les avec une toque d'étoffe noire; et vous verrez la misérable créature qui me frappa en rentrant sous le toit paternel. Personne n'aurait soupçonné dans la ché- tive Lucile les talents et la beauté qui devaient un jour briller en elle. Elle me fut livrée comme un jouet; je n'abusai point de mon pouvoir; au lieu de la soumettre à mes volontés, je devins son défenseur. On me conduisait tous les matins avec elle chez les sœurs Couppart, deux vieilles bossues habillées de noir, qui mon- traient à lire aux enfants. Lucile lisait fort mal; je lisais encore plus mal. On la grondait; je griffais les sœurs grandes plaintes portées à ma mère. Je commençais à passer pour un vaurien, un révolté, un paresseux, un âne enfin. Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe.. 1. liras dégingandés bras trop longs et qui ont des mouvements disgracieux! 2. Corps piqué sorte do corset. 3 . Collier de fer: collier qu'on mettait aux jeunes filles pour les obliger à tenir la tête droiso.