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quand il était à l'autre bout de la salle; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait en passant: « De quoi parliez-vous Saisis de terreur, nous ne répondions rien; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l'oreille n'était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère, et du murmure du vent. Dix heures sonnaient à l'horloge du château mon père s'ar- rêtait le même ressort qui avait soulevé le marteau de l'hor- loge semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d'argent surmonté d'une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l'ouest (1), puis revenait, son flambeau à la main, et s'avançait vers sa chambre à coucher, dépendantede la petite tour de l'est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage; nous l'em- brassions en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui. Le talisman était brisé (2); ma-mère, ma sœur et moi, trans- formés en statues par la présence de mon père, nous recou- vrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désen- chantement (3) se manifestait par un débordement de paroles si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher. Ce torrent de paroles écoulé, j'appelais la femme de chambre, et je. reconduisais ma mère et ma sœur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du châ- teau, voleurs et spectres, leur revenaient en mémoire. Les gens étaient persuadés qu'un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines épo- ques-, et qu'on l'avait rencontré dans le grand escalier de la tou- relle sa jambe de bois se promenait aussi quelquefois seule avec un chat noir. Ces récits occupaient tout le temps du coucher de ma mère et de ma sœur elles se mettaient au lit mourantes de peur; je me retirais au haut de ma tourelle; la cuisinière rentrait dans la grosse tour, et les domestiques descendaient dans leur sou- terrain. dans la petit» tour de l'est, et son cabinet dans la petite tour de l'ouest. » 9, Ce ta- lisman était brisé le charme était rompu. ha. présence du pore agissait sur eux eommo an pouvoir surnaturel. 3; Désenchantement état de personnes qui cessent 'd'ôtre enchantées, c'ost-à -dire soumises à un pouvoir magique.