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et l'extrême propreté des engins leur donnait une apparence plus féroce, comme si ces poignées qui brûlaient à leur con- tact même les mains enveloppéesd'étoupe, ces pistons incan- descents, ces boutons remués avec des crocs de fer, brillaient de tout le feu qu'ils absorbaient. Jack regardait curieusement la formidable bête. Il en avait vu bien d'autres à Indret mais celle-ci'lui paraissait encore plus terrible, sans doute parce qu'il savait qu'il serait obligé de l'approcher à chaque instant et der lui fournir sa nourriture de nuit et de jour. Çà et là, des ther- momètres, des manomètres, une boussole, le cadran télégra- phique par lequel arrivent les commandements, recevaient la lumière de grosses lampes à réflecteur. Au bout de la chambre aux machines s'enfonçait un petit.. couloir très étroit, très sombre. «  Ici, la soute au charbon. », dit Blanchet en montrant un trou béant dans le mur. A côté de ce trou, il s'en tr-ouvait un autre où un fanal éclairait quel- ques grabats, des hardes pendues. C'est là que couchaient les chauffeurs. Jack frémit à cette vue. Le dotoi Moronval (1), la mansardedes Roudic, tous ces abris de hasard où il avait dormi ses rêves d'enfant, étaient des palais en comparaison. «  Et la chambre de chauffe, » ajouta Moco (2) en poussant une petite porte. Imaginez une longue cave ardente, une allée des catacombes embrasée par le reflet rougeâtre d'une dizaine de foùrs en pleine combustion. Des hommes presque nus, activant le feu, fouil- lant les cendriers, s'agitaient devant ces brasiers qui conges- tionnaient leurs faces ruisselantes. Dans la chambre aux ma- chines on étouffait. Ici l'on brûle. «  Voilà votre homme. dit Blanchet au chef de chauffe en lui présentant Jack. Il arrive bien, dit l'autre, presque sans se retourner; je manque de monde pour les escarbilles. Bon courage, petit gas 1 fit le père Roudic en donnant à son apprenti une vigoureuse poignée de main. Et Jack, tout de suite, se mit aux escarbilles. Tous les détri- tus de charbon dont les cendriers se trouvent obstrués, encras- sés, sont jetés dans des paniers que l'on monte sur le pont pour les vider dans la mer. Dur métier les paniers sont lourds, les échelles raides, suffocante la transition de l'air pur à l'étouffe- ment du gouffre. Au troisième voyage, Jack sentait ses jambes fondre sous lui. Incapable même de soulever son panier, il 1. Lo dortoir Au gymnase Moronval, Où Jack a été d'abord en pension, aux côtés d'un petit roi nègre, qui prononçait ce mot avec l'accent de son pays. 2. C'est le nom que les hommes do l'équipngo donnent à Blanchet, le mécanicien chof, La marine française se divise en doux grandes races les Moco et les Ponantais, Bretagne et Provence, gens du Nord et gens du Midi. (Note de Daudot.)