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à larges bords, une fillette de seize ans ayant la beauté agreste d'un fruit sauvage, puis le maître charbonnieret sa femme, déjà ridés, hâlés et crevassés par l'âge et le labeur. Nous demandâ- mes la permission d'allumer nos pipes au brasier, et petit à petit nous liâmes connaissance. Les charbonniers sont gens peu expansifs et d'humeur défiante. Cependant, quand ils virent que nous nous intéressions sérieusement à leurs occupations, leurs langues commencèrent à se délier. L'offre d'un paquet de tabac acheva de les apprivoiser; la petite, qu'on nommait Bru- nille, et qui d'abord s'était cachée dans l'embrasure de la loge, nous lança uii regard moins farouche à travers les grands che- veux dénoués qui voilaient à demi ses yeux. Nous prîmes place sur les sacs, et je fis causer le vieux sur la cuisson du charbon. «  C'est mie rude besogne, et capricieuse, dit-il en secouant les cendres de sa pipe; d'abord ii faut chercher un bon cecisage, abrité du vent et à proximité des routes forestières; puis il y a le dressage du fourneau, qui est une opération délicate, exigeant de la patience et du savoir. Sur l'emplacement choisi, on. compte huit enjambées c'est le diamètre du foui-neau. Au centre, avec des perches fichées en terre, on ménage un vide qui servira de foyer. Les premiers bâtons ou attelles dont on entoure ce vide doivent être secs et fendus par quartiers, le haut bout appuyé contre les perches. Tout autour, on place une rangée de rondins, puis une seconde, une troisième, et ainsi jusqu'à l'extrémité du cercle. C'est le premier lit; il ressemble quasiment aux grandes toi- les rondes des araignées d'automne. Sur ce premier lit, on en élève un second, qui se nomme l'éclisse, et on continue de la sorte, toujours rétrécissant les rangées, de façon que le four- v- neau tout entier prenne la forme d'un large entonnoir renversé. Le troisième lit a nom le grand haut, le quatrième et le cin- quième s'appellent le petit haut. Le dressage terminé, il faut habiller le fourneau d'un épais manteau qui le mette à l'abri de l'air. On le couvre d'une gar- niture de ramilles sur lesquelles on applique une couche de terre fraîche, épaisse de trois doigts enfin on répand sur le tout le frasil, c'est-à-dire une cendre noire prise sur une ancienne place à charbon. Le sommet du fourneau étant resté à décou- vert, on y met le feu au moyen de broussailles et de char- bons allumés le courant d'air s'établit, et le bois commence à brûler. Alors seulement, Monsieur, viennent les vraies fatigues et les tracas du métier Le charbon est comme un enfant gâté sur- lequel il faut veiller jour et nuit. Quand la fumée, blanche d'abord, devient plus brune et plus acre, on bouche les ouver- tures avec de la terre; puis, douze heures après, on redonne un