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et sonore, tous muets, là chemise mouillée, buvant de l'eau contenue dans ces cruches de grès rondes comme un pain, gar- nies de deux anses et d'un entonnoir grossier bouché avec un bout de saule. Au bout des champs moissonnés, sur lesquels étaient les charrettes où s'empilaient les gerbes, il y avait une centaine de créatures qui, certes, laissaient bien loin les plus hideuses conceptions que les pinceaux de Murillo (1), de Téniers (2), les plus hardis en ce genre, et les figures de Callot (3), ce poète dé la fantaisie des misères, aient réalisées; leurs jambes de bronze, leurs têtes pelées, leurs haillons déchiquetés, leurs couleurs, si curieusementdégradées, leurs déchirures humides de graisse, leurs reprises, leurs taches, les décolorations' des étoffes, les trames mises à jour, enfin leur idéal du matériel des misères était dépassé, de même que les expressions avides, inquiètes, hébétées,idiotes, sauvages, de ces figures avaient, sur les immor- telles compositions de ces princes de la couleur, l'avantage éter- nel que conserve la nature sur l'art. Il y avait des vieilles au cou de dindon, à la paupière pelée et rouge, qui tendaient la tête comme des chiens d'arrêt devant la perdrix, des enfants silen- cieux comme des soldats sous les armes, des petites filles qui trépignaient comme des animaux en attendant leur pâture. Le soleil mettait en relief tous ces traits durs et les creux des visages; il brûlait les pieds nus et salis de poussière; il y avait des enfants sans chemise, à peine couverts d'une blouse déchirée, les cheveux blonds bouclés pleins de paille., de foin et de brins de bois; quelques femmes en tenaient parla main de tout petits qui marchaient de la veille et qu'on allait laisser rouler dans quelques sillons. BALZAC, Les Paysans. Les Charbonniers Nous aperçûmes bientôt les fourneaux à charbon espacés entre les arbres les uns conservant encore leur forme coni- que, les autres affaissés et fumants. A quelques pas de la loge construite en ramilles et en mottes de gazon, les charbonniers, assis en cercle sur des sacs, préparaient le repas du soir autour d'un feu de souches où bouillait la marmite. Ils 'étaient six trois gars bien découplés, aux yeux intelligents sous le chapeau 1. Murtllo célèbre peintre espagnol du xvn" siècle, qui a ou Io sentiment do la misère humaine. 2. Ténterê grand peintre flamand do la'mômc époque, autour de scènes populaires oh les paysanssont représentés avec une grande vérité d'expres- sion. 3. Callot. .- artiste français du temps do Louis XIII; a dessiné et gravé, avec