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coi, écartant piteusement ses petites ailes à peine emplu- mées. Trésor s'approchait de lui, tous les muscles tendus, quand tout à coup, s'arrachant d'un arbre voisin, un vieux moineau à poitrine noire tomba comme une pierre juste devant la gueule du chien; et, tout hérissé, éperdu, pantelant, avec un piaille- ment plaintif, désespéré, il sauta par deux fois dans la direction de cette gueule ouverte et armée de dents crochues. Il s'était précipité pour sauver son enfant, il voulait lui servir de rempart. Mais tout son petit corps frémissait de terreur, son cri était rauque et sauvage; il se mourait, il sacrifiait sa vie. Quel énorme monstre le chien devait paraître à ses yeux Et pourtant il n'avaitpas pu rester sur sa branche, si haute et si sûre; une force plus puissante que sa volonté l'en avait pré- cipité. Trésor s'arrêta, recula. On eût dit même qu'il avait reconnu cette force. » Je me hâtai d'appeler mon chien tout confus, et je m'éloignai plein d'une sorte de saint respect. Oui, ne riez pas, c'était bien du respect que j'éprouvais devant ce petit oiseau héroïque, devant l'élan de son amour. Tourgueneff, Souvenirs d'Enfance (Hetzel, édit.) . Mon dernier Coup de fusil UN JOUR J'ÉTAIS À LA CHASSE. Un chevreuil innocent et heu- reux bondissait de joie dans les serpolets trempés de rosée, sur la lisière d'un bois. Je l'apercevais de temps en temps par-des- sus les tiges de bruyère, dressant les oreilles, frappant de la corne, flairant le rayon, réchauffant au soleil levant sa tiède fourrure, broutant les jeunes pousses, jouissant de sa solitude et de sa sécurité. Mon chien quêtait (1), mon fusil était sous ma main; je tenais le chevreuil au bout du canon. J'éprouvais bien un cer- ,tain remords, une certaine hésitation à trancher du coup une telle vie, une telle joie, une telle innocence dans un être qui ne m'avait jamais fait de mal. Mais l'instinct machinal de l'habi- tude l'emporta sur la nature qui répugnait au meurtre. Le coup partit; le chevreuil tomba, l'épaule cassée par la balle, bondis- sant en vain dans sa douleur sur l'herbe rougie de son sang. Quaud la fumée du coup de fusil fut dissipée, je m'approchai en pâli,ssant et en frémissant de mon crime. Le pauvre et char- l. Quôler chercher le gibier, eu parlant du chien (le chasse.