Chevaux de mine On a décidé de faire descendre azc fond d'une mine de charbon un nouveau cheual, appelé Trompette, qui trainera les wagons. Il ua y rencontrer un vieux cheval, Bataille, qui depuis dix ans a travaillé dans ces ténèbres, et qu'on nous présente d'âbord. C'ÉTAIT BATAILLE, le doyen de la mine (1), un cheval blanc qui avait dix ans de fond (2). Depuis dix ans, il vivait dans ce trou, occupant le même coin de l'écurie, faisant la même tâche le long des galeries noires, sans avoir jamais revu le jour. Très gras, le poil luisant, l'air bonhomme, il semblait y couler une existence de sage, à l'abri des malheurs de là-haut. Du reste, dans les ténèbres, il était devenu d'une grande malignité. La voie où il travaillait avait fini par lui être si familière, qu'il poussaitde la tête les portes d'aérage, et qu'il se baissait, afin de ne pas se cogner, aux endroits trop bas. Sans doute aussi il comptait ses tours, car lorsqu'il avait fait le nombre réglemen- taire de voyages, il refusait d'en recommencer un autre, on de- vait le reconduire à sa mangeoire. Maintenant, l'âge venait, ses yeux de chat se voilaient parfois d'une mélancolie. Peut-être revoyait-il vaguement, au fond de ses rêvasseries obscures, le moulin où il était né, près de Marchiennes, un moulin planté sur le bord de la Scarpe, entouré de larges verdures, toujours éventé par le vent. Quelque chose brûlait en l'air, une lampe énorme, dont le souvenir exact échappait à sa mémoire de bête. Et il restait la tête basse, tremblant sur ses vieux pieds, faisant d'inutiles efforts pour se rappeler le soleil. Cependant, les manœuvres continuaient dans le puits, le mar- teau des signaux avait tapé quatre coups, on descendait le che- val et c'était toujours une émotion, car il arrivait parfois que la bête, saisie d'une telle épouvante, débarquait morte. En haut, lié dans un filet, il se débattait éperdûment; puis, dès qu'il sen- tait le sol manquer sous lui, il restait comme pétrifié, il dispa- raissait sans un frémissement de la peau, l'œil agrandi et fixe. Celui-ci étant trop gros pour passer entre les guides, on avait dû, en l'accrochant au-dessous de la cage, lui rabattre et lui at- tacher la tête sur le flanc. La descente dura près de trois minutes, on ralentissait la machine par précaution. Aussi, en bas, l'émo- tion grandissait-elle. Quoi donc? est-ce qu'on allait le laisser en route, perdu dans le noir? Enfin, il parut, avec son immobilité de pierre, son œil fixe, dilaté de terreur. C'était un cheval bai,, de trois ans à peine, nommé Trompette. l. Le doyen de ta mine 10 plus vieux des chevaux do la mine, -2, l'uitd travail au fond do la mine.
Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/179
Cette page n’a pas encore été corrigée